
Du fait de notre impréparation et d’une coupable négligence qu’il faudra bien attribuer un jour à un pompier de service (j’ai confiance !), nous n’avons cessé, dans l’urgence, de nous focaliser sur l’immédiat. Sans chercher à voir s’il n’y avait pas un danger plus grave derrière. Ce que j’appellerai une forme de myopie collective et proprement suicidaire. La catastrophe sanitaire, que nous avons mis tellement de temps à entrevoir (cf. les propos édifiants de suffisance et d’insuffisance de notre ex-ministre de la Santé ou du professeur Raoult en personne), a totalement occulté, pendant ses semaines, une catastrophe autrement plus grave et exceptionnelle : la catastrophe économique. Une catastrophe on ne saurait plus prévisible au demeurant, du fait de la mise à l’arrêt de l’essentiel de la production comme de la consommation. Du jamais vu dans toute l’histoire ! Et malgré tout il aura fallu attendre encore et encore avant que les meilleurs esprits fassent référence, du bout des lèvres, et avec des précautions de chat, à la dernière guerre mondiale et à 1929… Alors que tous les records étaient explosés. Bravo les artistes !
Du déni en guise de méthode de gouvernement, beau sujet pour l’oral de l’ENA (qui est l’anagramme d’ANE, vous l’aurez remarqué…). Déni qui nous afflige tout autant si l’on veut être honnête et balayer devant notre porte… Qu’étaient donc tous ces remèdes d’urgence prodigués dès les premiers jours : exonérations ou reports de charges, nationalisation des salaires, prêts garantis par l’État ? Une lueur d’espoir dans le pot au noir du confinement. Qui pensait alors aux mesures qu’il allait falloir prendre, immanquablement, afin de réamorcer la pompe au bout de la nuit ? Très peu. Qui osait même remettre en cause la pertinence d’un confinement qu’on pouvait craindre dévastateur ? Encore moins… Arrive enfin le plan de relance, ô combien nécessaire, mais ô combien nécessairement limité dans ses effets et plus encore dans la durée. Fin juillet, au mieux, les primes à la conversion auront fait long feu… Et alors ?
Et alors, que se passera-t-il de si terrible qu’on ose à peine y songer ? Un tsunami d’une ampleur sans précédent, très probablement ! Qu’on imagine bien un peu, mais qu’on repousse, emportés que nous sommes par l’activité qui renaît, l’atmosphère fraîche et légère du déconfinement, les beaux jours qui reviennent… et les vacances ! Nos chères vacances si longtemps perdues, si vite retrouvées… S’inscrivant en faux, les grands patrons, eux, sont déjà dans le temps d’après. La peur au ventre. La peur des skippers qui ont tout affronté : les tempêtes, les murs d’eau, les chavirages, la résurrection sous l’eau en apnée… Des skippers qui savent que l’enfer reste à venir. Et qui redoutent d’être submergés. Des confidences que j’ai reçues, vous seriez étonné et quelque peu inquiet d’apprendre que cette peur est désormais la sinistre compagne des plus grands.
Et pourtant, pour nous Français, il y a pire encore. Bien pire. Car même si les faillites tomberont comme à Gravelotte, si le chômage débordera malgré tous nos amortisseurs sociaux (les meilleurs du monde assurément), si les plus faibles seront fatalement absorbés par les plus forts (c’est la vie…), le soleil finira bien par briller. Et d’autant plus fort. Comme il sait le faire au sortir de l’Apocalypse. Par contre, rien ne nous prémunit contre des scénarios assassins. De ceux qui vous collent l’angoisse. Je n’en retiendrai qu’un parce qu’il touche notre constructeur le moins vulnérable, PSA, et que le groupe a des ressources que Renault n’a plus. Que se passerait-il, votre avis, si Bruxelles donnait le coup de grâce à sa fusion avec un FCA dont les appas auraient pris au passage un bon coup de moins bien ? Croyez-vous qu’un capitaine de la taille de Tavares resterait impavide à la barre de son navire, insensible au chant des sirènes ? D’une Lorelei d’outre-Rhin, au hasard, où Volkswagen n’arrive toujours pas à remplacer l’équipage Winterkorn-Klingler… Qu’adviendrait-il de notre fière industrie nationale si d’aventure son champion des champions partait voguer sous d’autres cieux ? Juste pour nous appeler au discernement et à la vigilance… Les oies en sont bien capables !
Publié par Pierre Mercier le jeudi 18 juin 2020