
L’heure est grave. Très grave. Et Emmanuel Macron l’a bien compris qui n’a laissé à personne d’autre le soin d’annoncer ce fameux plan de relance de l’automobile qui occupe tous les esprits depuis des semaines. C’est qu’il s’agit rien moins que de réamorcer la pompe de l’économie après un arrêt quasi-total de l’appareil productif. Du jamais vu dans l’histoire industrielle. Du jamais vécu. Du jamais « survécu ». Avec une sourde angoisse difficile à exorciser à la clé : les mesures annoncées, que l’on peut contester, qu’on conteste déjà, mais qui sont loin d’être insignifiantes, seront-elles réellement efficaces ? Le doute s’invite d’autant plus naturellement que les lieux de pouvoir évoquent déjà, pour la Rentrée, un autre plan de soutien, plus profond, plus structurant et partant plus durable. Pas facile de donner le moral dans ces conditions…
En réalité, on navigue à vue. Tout le monde navigue à vue. L’automobile comme les autres secteurs. Sauf que plus que n’importe quelle industrie, notre automobile était déjà affrontée, avant la pandémie funeste, à des défis existentiels colossaux. Doit-on rappeler ces travaux d’Hercule des temps modernes : le passage en force à l’énergie décarbonée, le passage tout aussi redoutable de la propriété à l’usage, l’irruption du numérique à tout crin sous la menace impitoyable des Gafa… Le tout dans un climat général de dénigrement, de rejet, qu’on pourrait dire de classe, tant il est nourri à l’envi par des privilégiés vivant au cœur des villes, bien à l’abri du besoin des mobilités « dures » qu’ils exècrent. La fracture était déjà là avant le Covid. Et bien là. D’aucuns la croyaient juste et écologique quand elle était juste sociologique et discriminante. Qui a financé l’explosion des transports en commun à Paris ? Les gueux de Province…
Le ver était donc dans le fruit. Bel et bien. Et l’exemple le plus frappant nous vient de Renault. L’ancien numéro un mondial par Alliance bon à donner aux chiens désormais. Au point que Bruno Le Maire, notre ministre de l’Économie, raide dingue de nos drôles de machines roulantes, en est venu à dire que Renault « peut » mourir. Renault dont l’État est accessoirement actionnaire. S’agit-il ici de découvrir qu’il n’est pas éternel (Renault, pas l’État…)? La belle affaire. Même les Immortels succombent de nos jours, comme Jean-Loup Dabadie hier… Doit-on pour autant faire passer Renault de vie à trépas, victime co-latérale prédestinée ? Bien sûr que non ! En dehors des salariés du Groupe, et encore, qui serait amené à douter un seul instant de la survie de l’ancienne Régie ? Qui prendrait jamais le risque de désespérer Billancourt ? De convoquer le spectre de Sartre ?
Le plan de restructuration, qui sera annoncé vendredi, proposera sans surprise des coupes sombres dans les unités de production comme dans les modèles de la gamme. Deux milliards d’euros d’économies à aller chercher sur trois ans, la hache s’impose. Mais surtout l’impérieuse nécessité de tout reconstruire : la gamme, l’organisation industrielle, les marges, la relation avec Nissan guère plus fringant. Et… et le leadership, la gouvernance, ce petit quelque chose qui fait que PSA, moribond en 2013, dans un état pire que celui de Renault, a pu renaître de ses cendres, et de quelle façon ! Jean-Dominique Senard a montré ses limites face à Nissan et plus encore face à Fiat ; beaucoup va reposer sur les épaules de Luca de Meo qui va passer à la dimension XXL ! Au demeurant que risque-t-il ? S’il se plante, il aura quelques solides excuses à faire valoir ; s’il réussit, ce sera l’apothéose ! De quoi motiver…
Sur le fond, en dehors de l’épisode très circonstanciel de Renault, l’automobile a de la chance. Beaucoup de chance. Avec d’abord des hommes de grand talent dont Carlos Tavares, en pole position, qui est ce qui se fait à peu près de mieux à l’échelle planétaire. Avec ensuite un Bercy acquis à la cause comme jamais au point que Bruno Le Maire a dû se rêver garagiste quand il était petit… Avec encore et par-dessus tout un président de la République prêt à régaler « quoi qu’il en coûte » . Ce qui ne serait que justice au regard de la responsabilité écrasante qu’il aura endossé, aux yeux de l’Histoire, en décrétant le confinement de toute la Nation. La France du début de l’année n’était ni en crise économique ni en crise financière. Il lui incombe à présent de remettre le navire à flot et de le soutenir jusqu’à corriger la gîte. Il le fera, n’en doutons pas, quand on voit comment on tord le cou aux tabous insurpassables d’hier. Même outre-Rhin !
Enfin, et c’est peut-être là l’essentiel, le regard porté sur la voiture a changé à travers cet épisode douloureux qui relèvera bientôt de l’épopée. La meilleure amie de l’homme des Trente glorieuses aura régressé devenant tour à tour, et au fil du temps, le Moloch assassin, le mal des mâles, le mal nécessaire, puis, en bout de course, le bouc émissaire que l’on aurait volontiers sacrifié aux dieux de l’Écologie selon les canons de la tragédie antique. Par une inversion de valeurs que personne n’attendait, l’automobile incarne aujourd’hui le summum de la sécurité sanitaire en matière de transport. Mieux, son individualisme invétéré redevient tendance. Et elle est l’une des rares à pouvoir dire merci au petit pathogène du jour. Au total, je serai tenté de paraphraser Churchill, le héros du siècle précédent, en guise de feuille de route pour l’entièreté de la Filière : de la sueur, du sang… et des armes ! Pas des larmes !
Publié par Pierre Mercier le mardi 26 mai 2020